Anne Malherbe, 2017
S’en sortir à la Fiac + Ayako David Kawauchi par Anne Malherbe | Oct 29, 2017 | Analyse, chronique, Dans une foire, Devant une œuvre http://www.occhiata-agence.com/2017/10/29/la-fiac-ayako-david-kawauchi/ La dernière fois, j’avais promis d’expliquer pourquoi j’apprécie une œuvre comme celle-ci : Elle n’était pas à la Fiac. Elle aurait pu aussi bien s’y trouver. Un jour je parlerai des cercles de l’art contemporain : dans le sens où il y a différents arts contemporains, ou considérés comme tels, en fonction de leurs lieux d’exposition. Une œuvre que j’apprécie est une œuvre qui ne me contraint pas à me précipiter tout de suite sur le communiqué de presse pour soulager mon cerveau pris d’angoisse. Une œuvre qui ne sait pas tout d’elle-même, qui livre un certain nombre d’indices et me laisse ensuite établir les passerelles, assembler le puzzle. Cette jeune femme comme retirée dans son désir et qui le constate, les yeux mi-clos. Ce désir est exprimé avec pudeur, avec ce mélange de détails réalistes, comme les longues chaussettes, qui sont peut-être des bas qui auraient glissé, mais peut-être aussi seulement de hautes chaussettes à travers lesquelles on voit les pieds. Le vêtement qui couvre le haut de son corps. Et ce qu’on croit être une jupe à-demi relevée mais qui est en fait le corps de l’oiseau. L’oiseau, connu pour être le symbole du plaisir. Il y a aussi ces mains, trop ou pas assez nombreuses, ni deux ni quatre : les siennes ou celles de quelqu’un d’autre, réel ou fantasmé. On ne sait à qui est quoi. Et puis, dans le contraste entre ces cheveux raides, les pieds ancrés, la silhouette carrée, et ces bulles qui créent un mouvement inverse de légèreté, d’évaporation et de dissolution, je ressens tout ce qui passe, sous la peau, de frémissements émotionnels. Jean Christophe Arcos, Avril 2017
Jean Christophe Arcos pour L'exposition duo " CE QUI SURVIT" à la galerie DETAIS en AVRIL 2017 Quand le mathématicien Alexandre Grothendiek fonde le groupe Survivre au courant de l’été 1970, il dresse le constat d’un divorce entre une recherche scientifique devenue abstraite à force de traquer les mécanismes de la Nature et la représentation que le grand public se fait de cette apparente magie noire. Pour Survivre , Grothendiek propose de se défaire de la mystique du sens caché. C’est au domaine du caché, de ce qui se dérobe au visible, qu’appartient la première image : imago, le terme désigne dans la Rome antique le portrait du défunt, moulé dans la cire ou le mortier à même le visage éteint. A défaut de pouvoir faire sur-vivre les mortels, il s’agit de les sur-voir, de les voir par-delà leur absence ; ce même réflexe de conservation animera les portraits du Fayoum à partir du 1er siècle de notre ère, et encore les premiers daguerréotypes, réalisés post-mortem. Sculpture, peinture et photographie s’originent dans le dépassement de cette charnière entre vie et mort. Cette relation travaille l’exposition Ce qui survit. Au travers de portraits réalisés au fusain, à la pierre noire ou au pastel gras, plus rarement à l’huile ou à l’acrylique, Ayako David Kawauchi semble faire flotter têtes et bustes sur le papier, à l’instar des yūrei, ces jeunes filles fantômes cherchant à entrer en contact avec les vivants. Travaillant à partir de modèles vivants, l’artiste déplace leurs regards, qui ne croisent jamais celui du regardeur. Perdus dans leurs pensées, ils regardent ailleurs ou nous tournent le dos, ouvrant notre propre regard à un prolongement indéfini. L’espace du dessin n’est déjà plus celui des corps qui lui font face : l’image n’est plus du ressort du monde physique. Absorbée dans la contemplation de mondes extérieurs auxquels nous n’avons pas accès, une petite fille se tient près d’une fenêtre, devant un album ou sur la marge d’une pièce ouverte sur un néant bleu. Le cadrage ne donne à voir que son geste de voir, projeté vers un invisible qui ne se livre que par indices, comme un puzzle. Avalée par un bonnet ou par une chevelure, refermant les mains sur la bouche ou sur une coupe comme portée dans un rituel indécryptable, la petite fille, à chaque fois ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, se réfugie dans son mutisme. Evoquant les icônes saintes ou les martyrs céphalophores portant leur tête dans leur main dans un ostensible renoncement au monde, les portraits sur fond doré forment un panthéon où se croisent des artistes, des critiques - des visionnaires. Autonomes, toutes ces figures émergent de l’aplat, en positif. L’omniprésence de la statuaire antique fait motif dans la peinture de Coraline de Chiara. Devant la minéralité de la pierre, que l’on retrouve dans les fossiles ou dans les figurines de céramique, ou du métal, dans ses épaves, s’évapore la légèreté de voiles ou de rideaux semblant les camoufler. Pourtant, ce camouflage reste imparfait : l’oeil le traverse pour accéder aux contours brouillés, floutés presque, qui se massent derrière lui. La pluralité des objets masqués appelle une pluralité de masques - à bien y regarder, les objets pourraient n’être qu’autant de prétextes à une exploration des moyens de leur dissimulation partielle. Les toiles de Coraline de Chiara sont en recherche de cette stratification du regard, dans laquelle se révèle, au sens propre parfois, la persistance des images. S’il s’agit d’une survivance des images, celle-ci se déconnecte de toute temporalité. Si les sujets paraissent défier le temps, ils trouvent leur réalité dans une remontée de l’image à la surface de la toile. Pour le dire autrement : la survie opère ici moins que la survision à laquelle l’artiste invite. La notion de profondeur de champ, employée pour définir dans le domaine de la photographie l’étendue de la zone sur laquelle s’ouvre l’appareil pour que l’oeil obtienne une image nette, se double ici du trouble de la vision provoqué par l’ivresse des profondeurs. Au gré de leurs connivences, Ayako David Kawauchi et Coraline de Chiara prennent l’épaisseur du trait comme le lieu d’une bascule : pour la première, l’image demeure une surface impénétrable, ne donnant qu’un accès sourd au dessein qui se trame au-delà, l’oeil ne parvenant qu’à déchiffrer des formes mouvantes agissant en secret ; pour la seconde, la peinture plonge au coeur de la nature du regard, l’écartelant jusqu’à le mettre en défaut, au pied du mur, incapable qu’il est de rester, en repos, loin des objets. Pour les deux, ce qui vit dans l’espace de l’oeuvre, plus que la tentative d’introduire une ressemblance, une proximité, avec la vie, c’est l’acte de voir qu’il y a de l’au-delà tapi dans la vision même. Représenter des objets, sans doute est-ce aussi les habiller du regard.Cliquer ici pour modifier. Anne Malherbe, 2015
Voici ce qui me touche parfois : les œuvres d’un artiste discret, que l’on voit peu, et que je découvre avec d’autant plus de fraîcheur. Ç’a été le cas lors de ma visite à l’atelier d’Ayako David Kawauchi juste avant qu’elle n’installe son exposition personnelle à Arcueil. Sur les murs s’étalaitSakura, une grande composition entièrement au fusain et à la pierre noire, dont le format devait s’adapter aux dimensions de la galerie municipale Julio Gonzales, et qui, dans l’atelier, enveloppait le visiteur. Plus qu’une composition, ce dessin relève de la tapisserie, façon Bayeux, du cycle médiéval, de la saga. Ce sont des figures humaines côte-à-côte, recueillies, livrées à elles-mêmes, porteuses d’un secret. Derrière elles, défilent à la fois l’espace et le temps. Il y a à l’évidence une narration à déchiffrer, indiquée par des symboles personnels, discrets, énigmatiques. Ces personnages ont quelque chose de gauche et nous regardent depuis un monde légèrement décalé par rapport au nôtre, comme si elles n’étaient pas tout à fait de chair. Ce sont leurs émotions qui les animent presque en transparence, et en font des êtres tout en frémissements et en retenue. La pierre noire et le fusain font que ces portraits (aussi bien dans Sakura que dans les autres dessins de l’artiste) possèdent à la fois une sombre intensité et de la transparence, un mélange de pesanteur et de grâce. L’émotion afflue derrière la frange des sourcils et s’y concentre, lavant la peau à son passage, la laissant claire et comme illuminée. http://occhiata.fr/les-dessins-dayako-david-kawauchi/ Anne Malherbe est la clitique d'art et l'auteur d "Occhiata" Un regard sur l'art occhiata.fr Léa Bismuth, 2015 "Les Ephémères" Qui sont les éphémères ? Il y a des insectes du même nom qui vivent à l’état de larves pendant plusieurs années, puis, à peine éclos, ne vivent à l’air libre que quelques heures. Prestement, brûlant leurs vies dans l’absolue croyance de leurs actes ; avant de s’éclipser. Sont-ce ces éphémères qu’Ayako David-Kawauchi nomme aussi « les êtres mis à nu par la guerre économique », les victimes de la misère sociale ou encore de catastrophes comme celle de Fukushima ? L’artiste rend hommage à ces figures malmenées: mais, sans misérabilisme, si elle les présente dans leur nudité, c’est pour mieux révéler leur pouvoir de régénération. L’artiste dessine de telles fulgurances, souvent incarnées par des enfants, ces êtres passagers par excellence. C’est au prix d’une « bataille de fusains » qu’elle travaille longuement avec ses modèles, parfois années après années, dans l’espoir de saisir la sincérité d’un geste de la main, ou la pudeur d’une paupière fermée. Elle aime à dire qu’elle enlève tout maquillage pour dévoiler et faire tomber les masques. Sur de grands fonds noirs ou blancs dont certains sont légèrement teintés de bleu ou de jaune, elle compose des scènes dans lesquelles les figures semblent flotter, dans des cieux ou des voix lactées. Lorsque l’artiste parle de sesinfluences, elle cite Odilon Redon pour la force bouillonnante de ses noirs et son mystère, ou encore William Kentridge pour l’énergie engagée de son trait.Mais, AyakoKawauchi opère, de manière toute personnelle, des processus de cristallisation, dans la pleine force de sa présence. Léa Bismuth Léa Bismuth est critique d’art (membre de l’AICA, elle écrit dans art press depuis 2006) et commissaire d’exposition indépendante www.rondpointdesarts.com/images/agendas/pdf/2015-02/dossier-de-presse-2-adk-150618.pdf Julie Higonnet Fev. 2014 AYAKO-DAVID KAWAUCHI - LIVRE À VIVRE “Livre à vivre”, cʼest ainsi que lʼartiste japonaise Ayako David-Kawauchi intitule la série de dessins présentés. Résidant en France depuis plus de vingt-cinq ans, elle joue de sa double culture, et sur les mots. En japonais, il nʼy a pas de différence entre le B et le V, ni entre le L et le R. Lʼinversion phonétique fait ainsi apparaître les mots Libre et Bible. Sous les auspices de ces quatre mots, ses dessins se veulent avant tout une célébration de la vie, dont il faut apprécier les instants fugaces. Depuis quelque temps en effet, Kawauchi est allée chercher dans le Livre certains de ses personnages (Marie-Madeleine en particulier), de ses récits emblématiques (La Cène), quʼelle réinterprète au travers de ses modèles, chacun incarnant une facette de la vie et de ses ambivalences. Réalisé avec un mélange de fusain, de pierre noire et de gesso, son dessin sʼinscrit avec sobriété dans lʼespace blanc de la feuille de papier. Des visages sereins, des fragments de corps, aux semblants dʼinachevé, la peuplent et invitent à méditer sur le caractère universel de certains épisodes bibliques. Des portraits dʼenfants et dʼadolescents aux yeux mi-clos viennent en contrepoint de cette série célébrer - à leur manière - les promesses dʼune existence en pleine éclosion. Bernard Point en oct 2012 Me retrouver grâce à cette nouvelle série de dessins d’AYAKO DAVID-KAWAUCHI me plonge étonnement dans les méandres d'un projet d'exposition qui me conduit vers le dessein de faire naître les multiples tracés de troublantes petites filles. Néanmoins la première image que je découvre est celle d'un couple qui me fait douter... Est-ce un homme ou une femme? Ce qui s'impose à moi, c'est un âge mur! D'ailleurs cette image enserre leur nudité dans une sphère souplement sensuelle, croisée par quelques fragiles lignes qui accouplent ces corps, mais sans sexe ni seins. La très forte présence d'une main à l'origine des dessins à venir, va faire naître ces petites filles. Ces deux visages associés à une réflexion profonde, sont à l'origine de ce dessein d’une naissance d'exposition. Maintenant je vois naître le silence d'une interrogation exprimée avec force par le noir d'une chevelure, masquant totalement les personnes, à l'exception de mains croisées, à la naissance de tout dessin. Mon aventureuse recherche me fait alors désirer des apparitions... Actuellement masquées encore une fois, par des mains volontairement et durement superposées graphiquement. Enfin un quatrième dessin m'offre l’illumination d'un visage interrogateur, au centre d'une auréole qui contredit par sa noirceur, la luminosité de ce visage en élévation. Ce disque serait-il un chapeau, alors qu'il est coiffé par un autre, et que deux mains suspendues accentuent le doute de mon interrogation. Au cœur de cette composition figée, mais paradoxalement traversée de tournoiements hésitants, ces yeux écarquillés deviennent une réponse positive au souhait de nativité de ces filles. L'une d'entre-elles, à peine esquissée sur le vide d'un fond blanc, suspend avec ses mains légères, une lourde étoffe noirâtre pointillée de lumière, afin de faire apparaître la virginité d'un jeune visage en interrogation au-dessus de l'inexistence de ses vêtements, pourtant évoqués par quelques disparitions de traits. La gestualité des cheveux emprisonnant ce visage accentue encore les fantasmes de mon attente. Celle-ci s'attarde un instant devant le seul dessin coloré, où une fillette croise ses mains devant sa jupette, sous le poids d'une capuche, chaudement chargée de l'aplat d'un rouge, qui encadre son corps après avoir masqué l'énigme de son front et de ses yeux. Je peux maintenant interroger toutes ces fillettes qui chaque fois, de par l'étrangeté de leurs attitudes, accompagnent la mystérieuse apparition de leurs visages Quelquefois de lourds traits noircissent une bouche ou un œil, qui s'isolent en suspens, entre la tombée de cheveux, exprimée par la force du dessin. Ces traits, créés librement par Ayako, peuvent accentuer ces énigmatiques attitudes, qui en dépit de leurs mouvances peuvent se fixer en insérant la charge d'un sombre aplat. Une fois immobilisées par la lourdeur de ce noir, elles peuvent paradoxalement encore, se rythmer en accord graphique avec le parallélisme d'un accordéon. Ces étranges apparitions sont quelquefois masquées par l'artiste qui double ces visages en les masquant par une espèce de rêve facial, qui peut faire oublier les traits d'une reconnaissance, par une sorte de brouillage vaporeux. Un seul œil peut s'ouvrir interrogativement, par son voisinage avec sa propre disparition, au-dessus de croisements de bras et de mains, qui révèlent mystérieusement encore, la transformation corporelle de ces fillettes, vers le devenir dessiné de leur adolescence. Je vais maintenant terminer mon cheminement au cœur de ce parcours gestualisé par Ayako, en m'interrogeant devant la seule œuvre qui rassemble six filles, très présentes pour certains, et paradoxalement poétiquement, en état d'absence ! Deux de ces filles amplifient légèrement leurs seins, mais toujours avec la même incertitude attentive. Le dessein de faire grandir ces filles est toujours exprimé par AYAKO DAVID-KAWAUCHI qui multiplie magiquement les innombrables manipulations et oblitérations de son dessin. Bernard Point Christian Noorbergen, 2007 L’art d’Ayako David-Kawauchi Des morceaux de corps, des échos d’êtres, et des morceaux de ciel s’affrontent, dansent, et calligraphient l’espace. Corps de ciel et taches de terre sculptent une apparence tragique et vibratile. Quelque chose d’humain, qui ne tient pas en place, surpasse les apparences corporelles. L’art d’Ayako David-Kawauchi fait demeure mouvante, instable, et dangereuse aux feux follets de l’existence charnelle. La vive gestuelle s’entrechoque aux fatigues du sens, elle « acte » le signe, et s’élance sans jamais s’épuiser en formes attendues, reconnues, et tueuses d’impact. Chez Ayako, le chaos veille, et peut-être même qu’il danse et s’allège du trop plein de l’achèvement des corps. Ayako ensemence et féminise les combles du vide. Le corps à venir est toujours déjà déconstruit. Tentatives inouïes et instables de fuir l’incarcération charnelle. Le graphisme est désaxé, décentré, la trace entraine et disperse le sens. L’art est l’espace ouvert où l’ailleurs féconde le vide. Ayako l’enciellée refuse la tyrannie sommaire du trait. D’une fluidité nuageuse et gestuelle, elle libère les enveloppes corporelles, qui s’agitent au fond des espaces du dedans. Corps déserté, hétérogène et troublant, aux plis opaques et tumultueux, hors du centre sexuel où s’abandonnent, dans la douceur infinie de l’échange, les lignes d’une vie lointaine, adolescente et fragile, car sans corps, l’homme se vide. Les signes graphiques, haletants et acérés, où se créent les taches corporelles enfiévrées d’Ayako, peuplent un vide insondable, et font souveraines charges de vie. Des traces d’existence, aux effets de sillage perdu, flottent, fluides et crues, implacables et sauvages. Les signes sont bornes d’immensité, intenses, indomptées, au bord des brûlures vitales. La tache allusive éblouit le vide, et blesse l’espace d’une écriture de cristal. Ayako creuse des trous dans la peau du monde… Des fragments d’histoire personnelle surgissent çà et là, en repères tracés à la hâte, à peine organisés, toujours à vif. Entre jouissance et déroute. Se confrontent aux vertiges de la blancheur, dans l’espace fendu de l’infini pictural. Fascinantes saisies de ces instantanés fragiles. Le vide aurait pu signer ces abandons sans assise …Cartographie aérienne et venteuse d’une intériorité poignante et déchirante, ouverte aux vents du dehors, et tentaculant les douleurs d’être. Les tracés d’Ayako traquent la vie, et ses lignes ne cessent d’inventer le hasard. Le dedans et le dehors du corps, peints dans le même mouvement, disent le sublime et l’atroce du corps uni et séparé, mortel et immortel. Ayako, dans l’étreinte du ciel, de la jeunesse et de la mort, dit l’éternelle inguérissable beauté. Métaphore d’Eros : seul le désir peut vaincre le vide, et seul l’élan traverse l’absence… Il y a du sacrilège dans l’air : une irruption de transgressions formelles qui brutalisent la norme, et quelque chose d’interdit dérange la scène graphique. Les dessins du désir oscultent le réel. Maîtrise vraie laisse le trait se défaire, qui va seul sans relâche, et le corps s’aventure en territoire d’inquiétude... Grand dessin veille le vide. De son cérémonial décalé, Ayako DavidKawauchi calligraphie de l’intérieur les abîmes de la chair, ses sombres avancées, ses ténèbres, et ses surgissements inattendus. Opératrice à prodiges du dehors-dedans, d’une affolante liberté graphique, elle maintient intactes les sources inventées du corps innombrable, notre seule demeure habitable. Christian Noorbergen, critique d’art |
Thomas Lévy-Lasne, 2012
Avec un morceau de bois brulé. J’ai eu la chance de voir Ayako au travail. D’abord une grande surface blanche. Elle arrive à son nouvel atelier, trouve des modèles, tisse des liens, remplit son carnet de rendez-vous avant de remplir son dessin. Elle travaille d’après modèle au fusain. Elle a commencé en représentant de front des personnes qu’elle ne connaissait pas. Une tête puis une autre, puis une autre, puis une autre, de journée en journée, précisant l’intimité, discutant avec son français approximatif, rassurant et impudique, gommant les doutes après les séances de pose. Comment raconter une épopée, une scène avec une cinquantaine de protagonistes aujourd’hui? Qu’est-ce qui fait masse? Nous relie encore? On reconnaît dans la composition une structure qui ressemble au jugement dernier de Michel Ange. Quand on amasse autant de figures, Il faut bien un ordre dans la composition, une manière de raconter. Le bas est sombre, empli d’inquiétude, de chute, et je dois dire d’un très beau crâne, tandis que le le haut du dessin, légèrement bleuté est plus aérien. Il y a des fils rouges qui traversent la composition : ils s’attachent aux mains des jeunes filles, en font des pantins ou des esclaves. Ils ne se rejoignent pas vers un bourreau putatif, un dieu manipulateur, peut-être sont elles entravées par elles même. De l’inquiétude, du doute, de la fragilité, du relâchement, de l’incrédulité marquent ces jeunes visages. Poser pour quelqu’un, c’est ne rien faire qu’être, sentir le temps qui passe, prendre conscience de la fugacité de l’existence, devenir grave, qu’on ait treize ans ou cinquante ans. Cette inquiétude et cette jubilation à exister, Ayako en a fait une composition. Qu’est-ce qui relie les hommes sinon d’être vivants et de le savoir? Cela peut paraître bête, tautologique, mais on peut être sûr de l’intensité de cette vérité. Parce que c’est bien cela qui fait la plus grande force d’Ayako : partant d’un outil des plus primitifs, des plus simples, un fusain, elle arrive à un trait des plus personnels, une ligne qui palpite. Bref à rendre présent quelqu’un qui se sait présent pour un petit bout de temps, avec un morceau de bois brulé. Thomas Lévy-Lasne, peintre Frank Wohlfahrt, Mars 2007 Le NOIR du fusain compressé, ce noir somptueux, ce noir vraiment noir et puis ce TRAIT qui explore la figure fragment après fragment morceau après morceau comme ferait un consciencieux anatomiste sans chercher à s’illusionner d’une Image du «réel» mais à prendre, à comprendre et poser les parcelles prélevées comme autant de trophées, reliques sur la grande étendue blanche du papier. Et c'est l'esprit qui se meut dans le "vide" les intervalles : le MA. Et voila que ça se complique que ça se convulse, s'additionne se superpose on ne sait plus à qui est quoi - ce bras par exemple - et pourtant il en reste de la place sur le papier…mais non…il faut en passer par cet amoncellement «être tas» disait l’autre. Et voila du blanc qui vient, comme la mer fait du sable, effacer les traces, gommer les parties du dessin fraîchement établi donc on n’aurait déjà plus l’usage : le fusain avance dans sa conquête de nouveaux territoires. Le dessin résiste, récidive, réapparaît doucettement en un mélange des présents successifs «l’immense et compliqué palimpseste de la mémoire». (Baudelaire) à Paris, Mars 2007 Frank Wohlfahrt, Peintre Jean-Paul Gavard-Perre 20 novembre 2014 Dans le silence des agneaux. Le sabre d’enfance est trop planté chez les égéries d’Ayako David Kawauchi pour hanter l’illusion d’une paix intérieure possible. La blessure demeure. L’enfance reste un brouillon de vie que les dessins soulignent dans leurs emmêlements subtils. Surgissent dans le blanc du papier des nuits de larmes dans les bras de personne. Il s’agit pourtant de résister avec bien des blues à éteindre. Vieux jeudis. Vieille cour. Terre couleur cassis. En dépit des chiendents. Vouloir dire. Vouloir rire. Passion jamais connue. Fermeture plus qu’annuelle dans la lumière du soir. Être là. Que cela. Au bord de l’attente là où il existe dans des postures réalistes déjà quelque chose posthume. Oui le blues, rien que le blues, le blues. À des années lumières. À des années craintives. Et leur dérive. Vers un point imaginaire. Soleil étouffé dans les cours intérieures ou plutôt les crassiers. Et le souffle de la guitare de Jimi Hendrix dans « Highway child ». Une petite fille est debout ou assise dans sa solitude. Et l’horizon sans suite. Son corps reste incertain. Visage glacé, caché, tourné vers l’intérieur. Variation entre alerte et énigme. Comme la peur. Sous la jeunesse des jupes parfois relevées ou ôtées demeurent des joyaux d’iris lointains à tout désir. Tout semble aller vers l’ombre dans la recherche de l’issue. Restent des galeries de fillettes égarées, perdues, à la recherche d’une identité parmi les friches des murs granulés. Ne pouvoir s’en délester. Cela aurait été pourtant la vraie naissance. La seule. En cet amour terrible d’un temps déjà jamais venu et que les vieux immeubles ont bloqué. Impossible d’en franchir la frontière, de prendre un train pour disparaître sur une voie lactée afin de pouvoir se regarder incrédule. Cela l’impossible naissance. Dans le fourbi de la fable. En son abîme même et l’étoffe de son insomnie. Yeux dans le vide. Ecouter le sommeil avec la politesse du silence des agneaux. Reste l’aveu qui échappe. Ayako David Kawauchi ramène à un passé que les dessins tentent de combler. Le corps reste tel qu’il a toujours été: au bord du langage et dans l’impuissance de se penser. Il y va d’une dérobade discrètement fascinante au moment de la plus grande retenue. L’innommé invisible fait surface. Reste l’absence de présence comme essence même de la matière à être. Faille et présence. L’artiste rapproche du temps où tout semblait encore endormi mais lourd. Plutôt que de se tourner vers le couchant la plasticienne ramène à l’aube, à l’extrémité de l’ombre de la nuit et ses ombres portées. L’aurore n’est pas sans douleur: celle de ne pas être, de n’avoir pas encore été. Mais rien n’en sera dit. Tout demeure esquissé en un « théâtre » où le silence est représenté. L’enfant tente d’allumer un feu dans sa tête en sachant la cendre qu’il laissera une fois qu’il sera éteint. |
ダヴィッド川内綾子のアート
切れ切れの体の部分、生き物達のこだま、に空の切れ端がぶつかり、踊り、空白を書の様に埋めてゆく。天空と土のしみが、ブルブル震える悲劇的な面影を刻んでゆく。人間的ななにかが、じっとしていられずに、そうした体の外観を超えて立ち現れる。ダヴィッド川内綾子のアートは肉体的存在の気まぐれなきらめきに動き、不安定さ、危険さを与える。その活発な動きはくたびれた感覚に衝撃を与え記号を活性化して、予想できるよくある形、衝撃を消してしまうものに陥ることなく身を踊らせる。川内においては混沌が目をひからせ時には躍動して、完成しすぎた体を軽くしてくれる。川内は不思議な空白の充満をもたらし、それを女性的なものにする。これから描かれる体は既に脱構築されている。肉体の束縛から逃げようとする途方もない、不安定な試み。
デッサンは座標軸を抜け中心を離れ、その筆跡は感覚を押し流し分散させてしまう。その芸術は他の場がそこに来て無を育むことができる開かれた空間。スケールの大きな川内は、簡単に筆跡の力に支配されたりはしない。陰影に富んだ動的ななめらかさで、彼女は内側の空間の奥底でうごめく肉体の封印を解く。捨てられた、不均等で乱れた、不透明でひどく皺のある体は性的な中心から外れた所にあって、そこでは遠い青春の壊れやすい生のしるしが限りなくやさしい交わりの中に息吹いている。体がなければ人は空になってしまうのだ...
川内の高揚したタッチが作り出す息もつかせない鋭利な書記記号は計り知れない空白を産み出し、生の究極の重さを作る。存在が航跡の如くあちらこちらにたまって、流動的で生々しく、そして容赦なく野性的に浮かんでいる。これらの記号は致命的な火傷を負うぎりぎりの所まで行った広大さ、強烈さ、屈しない力を示す境界石である。暗示的なしみが空間を眩く照らし、澄んだ書の場に傷をつける。川内は世界の表面に穴を開ける...
個人的な話の破片が、ほとんど無秩序に、そして常に生き生きと、急いであちこちに記され快楽と混沌の狭間に現れる。そして果てしない画面を断ち割っている空間の白っぽい目眩に突き当たる。壊れそうな一瞬一瞬のすばらしい捉え方。同じ様な放棄ができるのは無しかない。胸を打ち心を裂かれる様な内面性の空と風の天気図は外界の風に向かって開かれ存在の痛みに触手を伸ばしている。川内の筆跡は生を追い損線は偶然を生み続ける。
同じ動きで描かれた体の内と外が、一つでありまたはばらばらにされた、死にゆくと共に不滅である体の崇高さと恐ろしさを語っている。川内は空間、そして若さと死の重圧の中で、永遠不治の美を語り、そのデッサンは現実を貪欲に調べ上げる。 エロスのメタファー: 欲望だけが無に打ち勝つことができ、跳躍のみが不在を超えてゆく...そこには冒涜というか、規範破りの形式的なものに対する違反の乱入、なにか画面を乱すものがある。卓越した技術が描線を巧みに崩していき、その彷徨える描線は緩むことなく、肉体は不安な領域で冒険に挑む。
偉大なるデッサンが空白を見張っている。川内ダヴィッド綾子は枠にはまらない彼女なりの儀式を通して、内側から肉体の神秘、そのひどく暗い部分、闇、そしてそれらの不意の出現を探る。彼女は外と内を扱う卓越した技術者として恐るべき自由な筆使いで、私たちの唯一の住処である数えきれない姿を持つ体の中に発見した体の根源をそのままの形で把握する。
クリスチャン ノールベルジャン / 日本語訳 ダステ 真理
切れ切れの体の部分、生き物達のこだま、に空の切れ端がぶつかり、踊り、空白を書の様に埋めてゆく。天空と土のしみが、ブルブル震える悲劇的な面影を刻んでゆく。人間的ななにかが、じっとしていられずに、そうした体の外観を超えて立ち現れる。ダヴィッド川内綾子のアートは肉体的存在の気まぐれなきらめきに動き、不安定さ、危険さを与える。その活発な動きはくたびれた感覚に衝撃を与え記号を活性化して、予想できるよくある形、衝撃を消してしまうものに陥ることなく身を踊らせる。川内においては混沌が目をひからせ時には躍動して、完成しすぎた体を軽くしてくれる。川内は不思議な空白の充満をもたらし、それを女性的なものにする。これから描かれる体は既に脱構築されている。肉体の束縛から逃げようとする途方もない、不安定な試み。
デッサンは座標軸を抜け中心を離れ、その筆跡は感覚を押し流し分散させてしまう。その芸術は他の場がそこに来て無を育むことができる開かれた空間。スケールの大きな川内は、簡単に筆跡の力に支配されたりはしない。陰影に富んだ動的ななめらかさで、彼女は内側の空間の奥底でうごめく肉体の封印を解く。捨てられた、不均等で乱れた、不透明でひどく皺のある体は性的な中心から外れた所にあって、そこでは遠い青春の壊れやすい生のしるしが限りなくやさしい交わりの中に息吹いている。体がなければ人は空になってしまうのだ...
川内の高揚したタッチが作り出す息もつかせない鋭利な書記記号は計り知れない空白を産み出し、生の究極の重さを作る。存在が航跡の如くあちらこちらにたまって、流動的で生々しく、そして容赦なく野性的に浮かんでいる。これらの記号は致命的な火傷を負うぎりぎりの所まで行った広大さ、強烈さ、屈しない力を示す境界石である。暗示的なしみが空間を眩く照らし、澄んだ書の場に傷をつける。川内は世界の表面に穴を開ける...
個人的な話の破片が、ほとんど無秩序に、そして常に生き生きと、急いであちこちに記され快楽と混沌の狭間に現れる。そして果てしない画面を断ち割っている空間の白っぽい目眩に突き当たる。壊れそうな一瞬一瞬のすばらしい捉え方。同じ様な放棄ができるのは無しかない。胸を打ち心を裂かれる様な内面性の空と風の天気図は外界の風に向かって開かれ存在の痛みに触手を伸ばしている。川内の筆跡は生を追い損線は偶然を生み続ける。
同じ動きで描かれた体の内と外が、一つでありまたはばらばらにされた、死にゆくと共に不滅である体の崇高さと恐ろしさを語っている。川内は空間、そして若さと死の重圧の中で、永遠不治の美を語り、そのデッサンは現実を貪欲に調べ上げる。 エロスのメタファー: 欲望だけが無に打ち勝つことができ、跳躍のみが不在を超えてゆく...そこには冒涜というか、規範破りの形式的なものに対する違反の乱入、なにか画面を乱すものがある。卓越した技術が描線を巧みに崩していき、その彷徨える描線は緩むことなく、肉体は不安な領域で冒険に挑む。
偉大なるデッサンが空白を見張っている。川内ダヴィッド綾子は枠にはまらない彼女なりの儀式を通して、内側から肉体の神秘、そのひどく暗い部分、闇、そしてそれらの不意の出現を探る。彼女は外と内を扱う卓越した技術者として恐るべき自由な筆使いで、私たちの唯一の住処である数えきれない姿を持つ体の中に発見した体の根源をそのままの形で把握する。
クリスチャン ノールベルジャン / 日本語訳 ダステ 真理
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